Villeveyrac, reflet d'élections régionales inédites et déconcertantes.
Texte : Daryl Ramadier
Photos : Laurent Garcia
Le
Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées (nom toujours à
définir), résultant de la fusion des deux régions du sud de la
France, entre en vigueur le 1er janvier 2016.. Un
rassemblement qui en fait la deuxième plus grande au sein de la
Métropole française, cinquième en terme de population (5.6
millions d'habitants) et de PIB (150 milliards d'euros) mais aussi
troisième concernant le taux de pauvreté (17% de la population)
selon les chiffres de l'Insee
Les
élections régionales sont donc les premières de ce nouveau
découpage. Le Languedoc-Roussillon et les Midi-Pyrénées
appartenant au Parti Socialiste depuis 2004 et 1998, il
s'agit de l'un des territoires que la Gauche ne
souhaite pas perdre. Or les résultats du 1er tour mettent le
toulousain Louis Aliot (FN) en ballottage
favorable avec 31.83% des suffrages, contre 24.41% pour Carole
Delga (PS) et 18.84% crédités à Dominique
Reynié (LR).
La
tâche se complique pour Delga lorsque Nicolas Sarkozy
demande le maintien des candidats de son parti arrivés troisièmes.
Elle doit s'en remettre à Gérard Onesta (Nouveau Monde
En Commun, 10.26%) et compter sur le soutien du Maire de
Montpellier Philippe Saurel (Citoyens du Midi,
5%) afin d'espérer l'emporter.
À
Villeveyrac comme dans 20 061 communes, le Front National
pointe en tête à l'issue du 1er tour (46.69%). Louis Aliot
devance Carole Delga de plus de 33 points (412 votes), un net
contraste par rapport à 2010 où France Jamet (FN)
ne faisait que 13.56% alors que Georges Frêche (Divers
Gauche) obtenait 35.39% des voix.
« Aujourd'hui,
je vais voter contre »
Au
second tour la participation a fait un bon en avant dans l'Hexagone.
Ici, le taux d'abstention chute à 36.52% contre 48.66% une semaine
auparavant et 48.91% il y a cinq ans. Lise fait partie de ces
26 millions de français à s'être déplacés pour glisser leurs
bulletins au fond des urnes. « Je ne comprends pas ceux qui
s'abstiennent, clame-t-elle. Voter est un droit alors il faut
y aller, même si c'est blanc : tous les votes sont
comptabilisés et considérés. »
À
l'image de nombreux électeurs, elle s'est résolue à un choix par
défaut au second tour parce que son candidat favori n'est plus là.
Sans langue de bois et sans dévoiler le contenu de son enveloppe,
elle ne cache pas ses intentions : « Personnellement je
vais voter contre aujourd'hui. Il faut aller voter et ce serait bien
que les français se réveillent ». Car l'enjeu politique
dépasse largement nos frontières régionales et notre
interlocutrice en a bien conscience : « La région est
importante, il s'agit de notre vie de tous les jours et il faut qu'il
y règne un bien-être. Mais ce vote a surtout une vocation
nationale, si vous voyez ce que je veux dire ». Oh oui nous
le voyons.
Une
partie de la population déçue par le bilan des socialistes, une
autre désireuse de faire barrage au Front National,
encore une autre ne souhaitant pas laisser N.Sarkozy revenir
sur le devant de la scène […] Les partisans de tous bords sont
concernés et ont de multiples revendications, même si leurs
candidats ne sont plus engagés.
Les
votants ne cherchent pas forcément à mettre L.Aliot, C.Delga
ou D.Reynié au pouvoir. Ils ne savent d'ailleurs pas toujours
beaucoup de choses sur eux : « Je ne connais pas les
programmes des élus régionaux, ni ce que représente l'union du
Languedoc-Roussillon et des Midi-Pyrénées.
Je n'ai pas d'avis à ce sujet »
nous confie Lise,
comme de nombreuses autres personnes croisées à quelques mètres
des isoloirs.
Les
résultats traduisent les conséquences indéniables d'une situation
sociale déplorable, un « ras-le-bol général ». Les
attentats du 13 novembre ont également changé la donne : « Il
est évident que ce qu'il s'est passé à Paris
a modifié beaucoup de choses. Pour certains, c'est la panique ».
Une
élection importante
Au
sortir des urnes, une autre électrice nous explique les raisons de
sa présence : « Les femmes n'ont pas le droit de vote
depuis longtemps, alors en tant que femme je me dois d'aller voter ».
Et lorsqu'on lui demande si son but est de voter contre et par
défaut, elle répond par la négative : « Je suis ici
pour faire entendre ma voix et transpirer mes idées. Nous lançons
un message : écoutez-nous
davantage ! Le vote est important car aujourd'hui nous
avons la sensation que la démocratie est devenue une oligarchie ».
Les
appels à la mobilisation, elle n'en a pas eu besoin pour décider à
se rendre à la Salle des Fêtes mais elle comprend ceux qui ne l'ont
pas fait. « J'ai l'impression que les gens, et notamment les
jeunes, ne se sentent pas concernés comme ils devraient l'être ».
Christophe
Morgo, Maire de Villeveyrac et Conseiller départemental
du canton de Mèze, nous rappelle l'importance de
l'événement : « Les nouvelles régions ont d'énormes
compétences, avec par exemple la levée des fonds européens ou tout
ce qui concerne les transports. […] La région intervient dans
notre quotidien. »
Lors
de son élection à la municipalité en 2014, le taux d'abstention
était de seulement 22.07% (soit deux fois moins qu'aux régionales).
« Les gens ne se déplacent pas pour voter, nous
explique-t-il. Ils viennent pour les municipales et les
présidentielles, alors que toutes les élections sont primordiales.
Aujourd'hui les citoyens connaissent le Maire, le Président de la
République et malheureusement pas le rôle des autres
collectivités. »
Il
est conscient, lui aussi, que les français ont décidé d'adresser
un message à leurs politiciens par l'intermédiaire des
régionales : « Ils manifestent leur mécontentement par
rapport à ce qu'il se passe. Mais il faut prendre beaucoup de recul,
interroger les citoyens, savoir précisément pourquoi ils votent et
pourquoi certains ne le font pas... Le nombre d'abstentionnistes est
inquiétant ».
Des
résultats tout sauf anodins
Si
les résultats portent effectivement des revendications nationales,
il faut les analyser de manière géographique et démographique.
Montpellier et Toulouse, plus grandes villes de la
nouvelle région, ont vu la victoire des listes de Gauche
alors que le Front National arrive premier dans un
grand nombre de villages. Pour le Maire, il est nécessaire de se
poser certaines questions : « Ce sont aussi les médias
qui interpellent les communes rurales, souvent il ne s'y passe rien
d'inquiétant et le Front National est quand
même en tête. Les journalistes ont peut-être une part de
responsabilité. »
À
20 heures la France apprend que l'extrême droite ne remporte
aucune région ; elle est néanmoins majoritaire à Villeveyrac
où Louis Aliot décroche 50.07% des suffrages. Malgré une
progression de 359 voix (contre +178 pour son adversaire), Carole
Delga n'enregistre « que » 34.79% des voix.
Si
la participation s'est élevée de 12 points (63.48%), elle reste
nettement inférieure à ce que beaucoup souhaiteraient ; les
dernières municipales et départementales bénéficiaient d'un
meilleur taux. De l'abstention à la montée de l'extrémisme,
diverses données interpellent et doivent faire réagir nos élites
politiques. Qu'elle soit située à l'extrême ouest de la Bretagne
comme entre les collines héraultaises, la population manifeste sa
colère, sa frustration et son insatisfaction.
Les
français sont déçus mais, comme nous l'a confié Lise, ce
n'est pas forcément une raison pour ne pas se déplacer. Que l'on
vote pour, contre ou blanc, « il faut aller voter ».
Ces élections régionales ont tenu la France en haleine
jusqu'à la révélation des résultats. Comme l'a déclaré Jean-Luc
Mélenchon, ce fut « la campagne électorale la plus
étrange depuis longtemps ». Elle marque les prémices
d'une course à la présidentielle qui devrait s'achever en mai
2017... où nous serons là, une fois de plus, à la plume comme aux
urnes.
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